L’importance des relations interreligieuses à Singapour

Je reprends ici un article publié dans l’édition de Singapour du Petit Journal

Une intense collaboration interreligieuse est nécessaire pour maintenir la cohésion sociale dans ce pays à forte diversité religieuse, alors que les religions servent d’alibi dans maints conflits dans le monde. En collaboration avec François Bretault, catholique engagé depuis longtemps dans les relations interreligieuses, Lepetitjournal.com vous présente les organisations qui œuvrent dans ce domaine et comment elles coopèrent.

Le cardinal de Singapour reçoit des représentants de diverses religions à l'occasion de Noël.
Rencontre interreligieuse devant l’autel de l’église Saint Joseph à l’occasion de Noël (@ SJCVS)

Écrit par Jean-Michel Bardin

Publié le 16 avril 2024, mis à jour le 17 avril 2024

Singapour, champion de la diversité religieuse

En 2012, le Pew Research Center, centre de réflexion américain indépendant, a publié un rapport sur les religions dans 232 pays ou territoires. 8 groupes religieux ont été retenus : bouddhistes, chrétiens, religions traditionnelles ou populaires (chamanisme, aborigène, culte des ancêtres, …), Hindouisme, Islam, Judaïsme, ceux affiliés à d’autres religions (Bahaïsme, Jainisme, Shintoïsme, Sikhisme, Taoïsme, Zoroastrisme, …), et ceux non affiliés à une religion (athéistes ou agnostiques).

Dans ce cadre, un indice de diversité a été calculé selon une méthodologie utilisée pour mesurer la concentration dans divers domaines. Le résultat est un score allant de 0 à 10, 0 correspondant au cas où toute la population est affiliée à une seule religion, 10 correspondant au cas où la population se partage également entre les 8 groupes religieux identifiés.

Avec un indice de 9, Singapour se classait de loin premier au niveau mondial, suivi de Taiwan (indice 8,2) et le Vietnam (indice 7,7). Remarquons qu’avec un indice relativement élevé de 5.9, la France est classée 27ème, seconde seulement en Europe derrière les Pays-Bas. La composition religieuse des pays étant assez stable, ce classement n’est probablement pas très différent aujourd’hui.

Singapour est champion mondial en matière de diversité religieuse.

 

Un risque dans un monde où les tensions tendent à utiliser les religions

Même si la plupart des religions prêchent la paix, elles servent souvent d’étendards pour des groupes sociaux ou politiques cherchant à s’affirmer, voire des extrémistes en quête de pouvoir. Notre histoire regorge de croisades et de guerres de religion. Aujourd’hui, cela est évident avec les actions de l’état islamique et de Al-Qaïda. Mais l’Islam n’a pas le monopole de l’usage pervers de la religion : il suffit d’observer les crimes des white supremacists chrétiens aux États Unis ou en Nouvelle Zélande, ou même les revendications des bouddhistes en Birmanie et à Sri Lanka.

Avec sa diversité religieuse, Singapour n’est pas à l’abri de l’extrémisme religieux. De fait, plusieurs tentatives ont été enregistrées ces dernières années, heureusement tuées dans l’œuf grâce à la vigilance et l’efficacité des services de sécurité, toujours sur leurs gardes. Pas plus tard qu’en novembre dernier, un Singapourien de 16 ans, séduit par l’idéologie white supremacist sur Internet, a été interpellé par la police : il projetait de faire des attentats à l’étranger contre les communautés ciblées par les white supremacists. En 2020, un autre jeune Singapourien de 16 ans a été arrêté alors qu’il projetait des attaques à la machette contre des musulmans dans deux mosquées de Singapour.

L’influence croissante des réseaux sociaux, et plus récemment le conflit au Moyen Orient n’ont fait qu’amplifier les risques.

Un arsenal législatif veillant à promouvoir l’harmonie entre les communautés et les religions.

En 1964, Singapour a dû faire face à de graves émeutes intercommunautaires. Une des raisons de l’indépendance de Singapour par rapport à la Malaisie en 1965 était d’ailleurs de créer un état où aucune religion ou race n’était privilégiée. Mais, conscient des risques inhérents à la diversité religieuse du pays, le Parlement a voté en 1992, après trois ans d’études et consultation de la population, le Maintenance of Religious Harmony Act. Cette loi est basée sur deux principes : d’une part, la modération et la tolérance dans la pratique des religions, pour éviter malentendus ou provocations, et, d’autre part, la séparation entre la religion et la politique, pour éviter de faire des religions un instrument de propagande politique. Les personnes ou organisations qui enfreignent ces principes peuvent se voir interdire de communiquer pendant un certain temps.

Cela débouche sur une forme de laïcité bien différente de celle en vigueur en France : il ne s’agit pas de gommer les différences en poussant les gens vers un modèle unique (assimilation), mais de promouvoir une société plurielle ou chaque communauté et religion peut s’épanouir librement, dans la mesure où elle respecte les autres.

Avec la montée en influence des réseaux sociaux, cette loi a été amendée en 2022 avec trois volets : protéger les organisations religieuses locales contre les influences étrangères, notamment sous forme financière ; accélérer les procédures contre les personnes qui enfreignent la loi ; leur proposer des travaux communautaires de réhabilitation au lieu d’une poursuite judiciaire.

De plus, à la suite des tensions consécutives au 11 septembre 2001, le gouvernement en liaison avec les divers groupes religieux établit en 2003 un code de conduite dans le domaine religieux, la Declaration of Religious Harmony :

WE, the people in Singapore, declare that religious harmony is vital for peace, progress and prosperity in our multi-racial and multi-religious Nation. We resolve to strengthen religious harmony through mutual tolerance, confidence, respect and understanding. We shall always recognise the secular nature of our State, promote cohesion within our society, respect each other’s freedom of religion, grow our common space while respecting our diversity, foster interreligious communications, and thereby ensure that religion will not be abused to create conflict and disharmony in Singapore.

Par ailleurs, des Inter-Racial Confidence Circles, rebaptisés depuis Racial and Religious Harmony Circles, ont été mis en place dans chacune des 93 circonscriptions électorales de Singapour pour promouvoir cette déclaration, qui est lue chaque année dans toutes les écoles à l’occasion du Racial Harmony Day.

Un atout de Singapour dans la collaboration interreligieuse est que la plupart des religions ont un leader qui peut représenter son obédience et émettre des directives à l’attention de ses coreligionnaires. Cela a été particulièrement important au lendemain du 7 octobre 2023, quand le Grand Mufti de Singapour a envoyé une lettre de compassion au Grand Rabbin, et que celui-ci a répondu favorablement, de façon à réduire les tensions entre musulmans et juifs sur l’île.

L’IRO, la plus ancienne organisation interreligieuse au monde

Les autorités publiques n’ont pas été les seules à identifier le risque de conflit interreligieux et à chercher à le réduire. Dès 1949, sous l’impulsion d’un érudit musulman pakistanais, Mohamed Abdul Aleem Siddiqui, des représentants de l’Islam, des églises chrétiennes, du Bouddhisme, de l’Hindouisme, du Sikhisme, et du Judaïsme se sont réunis pour former une alliance de paix. C’était le début de l’IRO (InterReligious Organisation). Ce groupe s’est élargi au fil des années. Il comporte aujourd’hui 10 religions « officiellement » reconnues : les six membres fondateurs ont en effet été rejoints par les taoïstes, les jaïnistes, les zoroastriens, et les bahaïs. Il faut bien se souvenir qu’à cette époque, la plupart des religions se considéraient comme la seule vérité et décourageait les contacts avec les autres. Concernant le catholicisme par exemple, il a fallu attendre le concile Vatican II (1962-1965) pour que les croyants soient encouragés à dialoguer avec les autres religions.

C’est l’IRO qui a proposé en 1950 au gouvernement encore colonial de l’époque de revoir la liste des jours fériés, pour qu’elle soit plus équilibrée entre les différentes religions. L’IRO est aussi intervenu en 1950 pour calmer les esprits suite aux émeutes consécutives à l’affaire Maria Hertogh : un jugement avait rendu cette jeune fille baptisée catholique à ses parents hollandais, alors qu’elle avait été adoptée durant la guerre par une famille malaise qui l’avait éduquée et mariée dans la tradition de l’islam. La communauté malaise, outrée, s’en est alors prise aux autorités, aux européens et aux eurasiens. L’armée dut intervenir et il en résulta 18 morts, 173 blessés et plus de 1000 interpellations. L’IRO intervint de même lors des émeutes intercommunautaires de 1964.

En 1952, l’IRO a commencé à organiser des prières interreligieuses pour célébrer des événements concernant toutes les communautés, comme par exemple la commémoration de la seconde guerre mondiale ou, plus récemment, des victimes de la pandémie. Cette organisation a depuis produit de nombreuses publications plaidant pour la compréhension et l’harmonie interreligieuse.

L'IRO est la plus ancienne organisation interreligieuse au monde.
Les membres de l’IRO priant en commun (@ IRO)

Le CIFU, pour une approche de terrain

En 2019, à l’instigation de Mohamed Imran, partisan renommé de la cause interreligieuse à Singapour, une dizaine de personnes de bonne volonté de diverses religions se sont réunies sur le  constat que certaines problématiques interreligieuses n’étaient pas couvertes par l’IRO: d’une part, l’IRO ne reconnait que 10 religions, de nombreux courants religieux, certes minoritaires, n’y étant pas représentés ; d’autres part, cet organisme institutionnel très formel a du mal à traiter des questions pratiques quotidiennes qui se posent au carrefour des différentes religions. C’est ainsi qu’a été créé le Centre pour la Compréhension Interreligieuse (CIFU), ONG qui promeut une communauté engagée avec une compréhension approfondie des idées et pratiques. C’est un pont entre les livres et le terrain.

Cette organisation se veut inclusive, embrassant la diversité (comme par exemple les non-croyants, ou les minorités religieuses), en particulier ceux en marge (comme les LGBT, ou les migrants). C’est un groupe d’individus qui ne prétendent pas représenter leurs religions ou les groupes auxquels ils appartiennent, mais seulement eux-mêmes en toute sincérité. Leurs actions sont guidées par une connaissance solide et une expérience approfondie de leur foi, tout en étant ouverte aux nouvelles idées et expériences. Ils prennent position contre la haine, la violence et la division et promeuvent la solidarité au-delà des différences pour des valeurs universelles et humanistes, et ainsi parvenir à une transformation du cœur et de l’esprit.

Le CIFU travaille souvent en lien avec des associations telles que le Dialogue Centre entre autres, pour promouvoir le dialogue interreligieux dans la société singapourienne. Il encourage la recherche académique sur des sujets comme les mariages interreligieux. Il publie des ouvrages comme un livre sur les relations entre chrétiens et musulmans à Singapour depuis l’indépendance. Il organise des séminaires et des conférences, en invitant des experts tels que Francis Xavier Clooney, un prêtre jésuite américain et spécialiste de l’hindouisme. Il fournit une expertise pour le travail interreligieux et conduit des formations dans ce domaine. Enfin, il organise des événements interreligieux, comme Sojourners, un festival de musique.

Le CIFU organise des rencontres interreligieuses.
Rencontre interreligieuse au CIFU (@ CIFU)

D’autres initiatives contribuent à la coopération et à l’harmonie interreligieuse à Singapour

Celles citées ci-après sont loin de constituer une liste exhaustive.

Certaines religions ont désigné des personnes ou des cellules spécialement en charge du dialogue interreligieux, comme par exemple le Harmony Centre, pour l’Islam ou le conseil archidiocésain pour le dialogue interreligieux, pour l’église catholique.

The Whitehatters, petite ONG, chercher à promouvoir une société harmonieuse qui transcende les barrières religieuses, raciales et sociales, par exemple en organisant des conférences, chacune visant à répondre à toutes sortes de questions pour mieux comprendre une religion donnée, des événements rassemblant des Singapouriens et des non Singapouriens, ou des échanges sur des problèmes intercommunautaires souvent laissés dans l’ombre.

Fondées en 2015, hash.peace et Interfaith Youth Circle sont des associations dirigées par des jeunes qui s’engagent à catalyser les conversations et à développer des programmes qui contribuent à une harmonie sociale durable.

Il est intéressant de noter que la plupart de ces organisations ont été initiées par des musulmans dans un contexte grandissant d’islamophobie et de désinformation, montrant ainsi la volonté de la communauté musulmane locale d’afficher un autre visage de l’islam.

 

Les diverses formes de dialogues interreligieux

Le dialogue interreligieux est en fait à la portée de tous et peut prendre de nombreuses formes. Les organisations mentionnées précédemment mènent des actions très diverses, car les possibilités d’échanges et de dialogue sont variées.

Le dialogue de vie est quotidien à Singapour où les communautés sont mélangées. On parle parfois des 5 F : la nourriture (Food), les fêtes (Festivals), les visages (Faces) et les vêtements (Fashion), tous unis sous le même drapeau (Flag). Chacun a un voisin, un collègue ou un ami qui est d’une autre croyance que la sienne.

Le dialogue d’action se focalise sur la collaboration dans des projets sociaux ou environnementaux, montrant que les actions concrètes peuvent renforcer les liens interreligieux. Il s’agit souvent de réunir les forces de chacun pour venir en aide aux plus démunis. Durant le Ramadan qui vient de se terminer, par exemple, une soixantaine de personnes de milieux défavorisés ont été invitées, à l’initiative d’organisations interreligieuses, pour la rupture du jeûne à un dîner dans un hôtel de la ville.

Le dialogue des idées n’est pas réservé qu’aux experts. On ne parle pas d’ailleurs de débat, car il n’y a pas de confrontation. Chacun est en fait un expert de son expérience de vie et de son expérience de foi. Cela peut passer bien sûr par le dialogue théologique lors de séminaires, mais à Singapour il s’agit la plupart du temps de conversations en petits groupes sur des sujets sensibles comme la peine de mort ou le racisme.

Le dialogue de prière, à l’exemple des rencontres d’Assise commencées en 1986 encourage les croyants à prier ensemble, malgré leurs différentes approches du divin, ou bien aussi prier les uns pour les autres, comme les échanges épistolaires entre le Mufti de Singapour et le Rabbin l’ont souligné.

Le dialogue en ligne est plus récent et a pour but d’avoir une présence positive sur les médias sociaux. Cela peut aller de simples vœux à l’occasion d’une fête religieuse à une présentation de ce qui se fait pour la construction d’une société plus harmonieuse.

Chacun de ces dialogues joue un rôle clé dans la construction d’un monde plus pacifique et compréhensif, en mettant en avant la richesse de la diversité des croyances.

Terminons sur une note plus légère avec Interfaith with a sense of humour, une page Facebook gérée par François Bretault et réservée aux initiés. De nombreux experts du dialogue interreligieux, mais pas seulement, s’y retrouvent pour échanger en utilisant un autre outil, l’humour. Parfois, l’humour peut poser des questions profondes de manière légère, incitant les gens à réfléchir à leurs propres croyances et pratiques d’une manière qu’ils n’avaient peut-être pas envisagée auparavant. Le message est simple : rire de soi-même, prendre du recul, permet un dialogue très enrichissant. Le point de départ en étant l’humilité…

Interfaith with a sens of humour dédramatise les tensions interreligieuses.
Interfaith with a sense of humour

Les défis des familles interreligieuses à Singapour et au-delà

(Ce texte est la traduction d’un article que j’ai écrit en anglais et que vous trouverez ici: Challenges of interfaith families in Singapore, and beyond.)

Au cœur de l’Asie, où la diversité prospère et les traditions abondent, l’intersection de la foi et de la famille est un lieu où l’amour et la compréhension doivent trouver un moyen de coexister pacifiquement.

Les mariages interconfessionnels sont en augmentation. À Singapour, un mariage sur trois est une union interreligieuse. Que nous l’approuvions ou non, de nombreuses personnes choisissent de s’engager dans des relations interreligieuses. Il est donc essentiel de réfléchir aux moyens d’aider ces couples à surmonter les difficultés qu’ils peuvent rencontrer.

Certains problèmes rencontrés par les familles interreligieuses peuvent être très pratiques et il est parfois difficile de trouver du soutien.

Prenons le cas de Marie, une catholique qui a épousé un hindou. Il est décédé il y a de nombreuses années, mais la famille de son mari l’a bien accueillie et s’est occupée d’elle. Cependant, lorsque Marie est décédée à son tour, sa famille hindoue ne savait pas quoi faire pour les rites funéraires.

Fadhilah, musulmane, et Ronald, catholique, sont mariés depuis de nombreuses années. Cependant, leur union se heurte à la résistance de la famille musulmane de Fadhilah, qui hésite à se rendre chez eux en raison de la présence d’alcool, contradictoire avec leurs croyances musulmanes.

Le Centre pour la compréhension interreligieuse (CIFU), une organisation interreligieuse de Singapour, s’efforce de trouver des moyens d’aider les familles interconfessionnelles dans leurs difficultés quotidiennes. L’organisation recueille actuellement les histoires de couples interreligieux, documentant leurs épreuves, leurs joies et la tapisserie unique de l’amour qu’ils créent.

Le livre de ces histoires a pour but de réconforter et d’inspirer les couples confrontés à des situations similaires, afin de les rassurer sur le fait qu’ils ne sont pas seuls dans leur parcours unique. De plus, CIFU espère mettre en lumière les expériences de ceux qui vivent ces relations interreligieuses et leurs relations avec les institutions religieuses, dont le soutien est souvent limité.

Dans le cadre du dialogue interreligieux, nombreux sont ceux qui soulignent l’importance de vivre en harmonie, d’accepter les différences et d’apprendre à aimer les personnes d’autres confessions afin de créer une société plus inclusive. Cependant, lorsqu’il s’agit de la plus petite unité de la société – la famille – on rencontre souvent un malaise lorsque deux personnes de confessions différentes décident de s’unir par le mariage.

Traditionnellement, les mariages interreligieux ne sont pas encouragés et, dans certains pays, ils sont même considérés comme illégaux. Il est compréhensible de s’interroger sur la sagesse d’un mariage interreligieux. Si l’on accorde une grande importance à sa religion, pourquoi s’exposer à des problèmes potentiels en épousant une personne d’une autre confession ?

Les dirigeants des communautés religieuses reconnaissent l’importance du dialogue interreligieux ce qui est réconfortant. La scène interreligieuse à Singapour est plus vivante que jamais et il n’est pas surprenant qu’en devenant cardinal, l’archevêque de Singapour, William Goh, ait déclaré l’année dernière que ses priorités étaient de promouvoir l’amour et l’unité en encourageant le dialogue interreligieux et en construisant une société plus inclusive. Monseigneur Goh a appelé les catholiques à se joindre à lui dans ces nobles tâches. Cependant, les couples interreligieux éprouvent souvent des difficultés à se tourner vers leurs chefs religieux pour obtenir de l’aide et ils sont parfois amenés à penser qu’ils n’auraient pas dû contracter de tels mariages en premier lieu.

Il est temps que les Églises nationales d’Asie établissent individuellement et collectivement des politiques et des systèmes pour aider et guider les mariages et les familles interreligieuses. Les familles interreligieuses sont davantage une réalité sociale pour l’Église en Asie que pour l’Église dans d’autres parties du monde.

Afin de mettre en lumière les difficultés rencontrées par les familles interreligieuses en Asie et d’explorer les moyens de combler le fossé, l’Initiative pour l’étude des catholiques asiatiques (ISAC), hébergée par l’Institut de recherche asiatique de Singapour, lance une collaboration de recherche avec des universitaires et des praticiens interreligieux.

Le projet cherche à comprendre la dynamique, les défis et les joies vécus par les couples interreligieux et leurs familles dans divers pays d’Asie. Afin d’approfondir la compréhension des familles interreligieuses, l’ISAC vise à établir une plateforme de discussion et de recherche sur les familles et les mariages interconfessionnels. Le but est d’inciter les personnes qui ont des intérêts similaires à partager leurs idées et leurs points de vue.

Pour répondre à ces préoccupations, il est nécessaire de poursuivre la recherche interdisciplinaire, en s’appuyant sur des domaines tels que la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, les études religieuses, et en tirant les leçons des expériences de ceux qui travaillent dans le domaine de la pratique religieuse. S’il est vrai que « la paix commence à la maison », nous devrions accorder une plus grande attention aux familles interreligieuses, car elles incarnent la diversité de notre monde actuel. Au milieu des conflits et des tensions qui se produisent dans le monde, les familles interreligieuses peuvent en effet avoir des leçons précieuses à donner sur la gestion des différences et la promotion de l’harmonie…

Seulement 10 religions ?

Officiellement, Singapour reconnaît 10 religions. L’organisation souvent mentionnée lorsqu’on parle des religions représentées à Singapour est l’IRO (Inter-Religious Organisation). Des représentants de ces 10 religions (les Hindous, les Zoroastriens, les Juifs, les Bouddhistes, les Taoïstes, les Jaïns, les Chrétiens, les Musulmans, les Sikhs et les Bahaïs) en sont membres, la plupart du temps nommés par leurs institutions respectives. Cependant, le paysage religieux singapourien ne se limite pas à ces 10 religions. Les juifs réformés, par exemple, ne sont pas représentés à l’IRO, car ils sont minoritaires par rapport aux juifs orthodoxes. Les témoins de Jehovah sont discrètement présents dans la société, mais pas reconnus officiellement, car certaines de leurs pratiques, telles que le refus de faire le service militaire, sont en contradiction avec la loi singapourienne. Les non-religieux par ailleurs, ne sont pas pris en compte alors qu’ils représentent un quart de la société et représentent, à mon avis, une croyance qu’il faudrait prendre en compte…

Je me suis donc amusé à essayé de faire un panorama plus complet de ce paysage religieux singapourien. À l’aide d’un Padlet, j’ai essayé de présenter cette arborescence religieuse:

Made with Padlet

Je dois le mettre à jour régulièrement, car l’évolution est constante. Si d’ailleurs vous avez des informations complémentaires, notamment concernant le nombre de fidèles de chaque groupe, merci de le mettre en commentaire.

Je trouve fascinant de voir à quel point la petite île de Singapour est une véritable Mosaïque!

Qui est Lawrence Wong, futur Premier ministre de la cité-État ?

(J’ai rencontré Lawrence Wong il y a quelques jours, à l’occasion d’une célébration pour la fin du Ramadan. J’en profite donc pour mettre ici un article que j’ai écrit à son sujet dans ‘Église d’Asie‘ l’année dernière.)

Le ministre des Finances de Singapour, Lawrence Wong, devrait succéder à Lee Hsien Loong comme futur Premier ministre de la cité-État après les prochaines élections législatives. Une nouvelle étape à venir pour le gouvernement singapourien qui a été dirigé durant plusieurs décennies par Lee Kuan Yew, le père de l’actuel Premier ministre. Lawrence Wong, âgé de 49 ans, qui sera le premier dirigeant chrétien (méthodiste) de Singapour, explique vouloir affirmer le caractère multiethnique et multireligieux du pays : « Nous pouvons être chinois, malais, indiens, ou eurasiens, nous sommes avant tout Singapouriens. »

Lawrence Wong avec quelques représentants d’organisations religieuses et inter-religieuses de Singapour.

Le ministre singapourien des Finances, Lawrence Wong, sera le prochain Premier ministre de la cité-État.

Après des mois de spéculations et de lecture politique dans le marc de café, les Singapouriens ont finalement appris, en avril dernier, que l’actuel ministre des Finances, Lawrence Wong, allait succéder à Lee Hsien Loong en tant que prochain Premier ministre du pays. Ce poste, créé en 1959, a été occupé pour la première fois par Lee Kuan Yew, du People’s Action Party (PAP), considéré comme le fondateur de l’État singapourien. Il fut premier ministre jusqu’en 1990, l’un des plus longs règnes à la tête d’un pays. Goh Chok Tong lui succéda de 1990 à 2004, avant que Lee Hsien Loong, fils de Lee Kuan Yew, ne reprenne le flambeau.

Lawrence Wong, issu d’un milieu modeste, a obtenu une bourse du gouvernement pour étudier aux États-Unis dans les années 90. Avant d’entrer en politique, il était fonctionnaire dans les ministères du Commerce et de l’Industrie, des Finances et de la Santé. Il a également été le secrétaire privé du Premier ministre Lee Hsien Loong entre 2005 et 2008, et directeur général de l’Autorité du marché de l’énergie (EMA) entre 2008 et 2011. « Son expérience en tant que directeur général de l’EMA sera particulièrement importante au moment où Singapour est confronté à des défis potentiels liés au changement climatique et aux chocs énergétiques »a souligné le Dr Woo Jun Jie, chercheur à l’Institute of Policy Studies (IPS).

Les débuts politiques de Lawrence Wong datent des élections générales de 2011, lorsqu’il est élu député. Il a ensuite occupé des postes au ministère de la Défense, au ministère de l’Éducation, au ministère des Communications et de l’Information et au ministère de la Culture, de la Communauté et de la Jeunesse. En tant que ministre de la Culture, M. Wong a mené la candidature pour que les jardins botaniques de Singapour soient reconnus comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Âgé aujourd’hui de 49 ans, Lawrence Wong sera le premier dirigeant chrétien (méthodiste) de la cité-État. Très discret concernant sa vie privée, sa biographie sur Instagram se résume à « ministre des Finances de Singapour, rat de bibliothèque, guitariste et amoureux des chiens ».

Les crises récentes ont mis Lawrence Wong sur le devant de la scène

En 2020, le ministre de la Santé de l’époque, Gan Kim Yong, a eu l’idée de constituer un groupe pour diriger la lutte de Singapour contre une pandémie émergente. Lawrence Wong a été son choix pour coprésider ce qui deviendra le groupe de travail multiministériel pour la gestion de la crise Covid-19. Lors des fréquentes conférences de presse organisées durant la crise, M. Wong a acquis une certaine popularité grâce à son calme et sa clarté d’expression.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Singapour a fermement condamné Moscou et n’a pas hésité à imposer des sanctions. Habituellement très prudente sur le plan diplomatique, la cité-État a réaffirmé l’importance du droit international ; il s’agit pour Singapour d’une question existentielle. « Allons-nous, avec cet événement, entrer dans un monde plus divisé, plus bifurqué ? Allons-nous commencer à voir une érosion de l’ordre international fondé sur des règles qui ont permis à de petits pays comme Singapour de prospérer ? » remarquait Lawrence Wong en mars dernier.

Singapour commerce davantage avec la Chine qu’avec tout autre pays, et les États-Unis en sont le principal investisseur étranger. Il est donc essentiel pour Singapour de ne pas prendre parti dans les tensions actuelles. Lawrence Wong analysait la situation dans les termes suivants en avril dernier « Il est en effet inquiétant qu’il y ait une perte de confiance mutuelle des deux côtés. Les relations sont devenues plus tendues après la guerre (en Ukraine) […] Essayer de contenir la montée de la Chine ne fera que redoubler sa détermination à devenir plus autonome, à développer ses propres petits géants et développer sa propre technologie indigène. Garder la Chine hors du système ne fera que développer son propre système parallèle avec ses propres règles. »

Continuité programmée

Concernant la diversité ethnique et religieuse de la population singapourienne (Singapour reste le pays le plus diversifié au monde du point de vue religieux), Lawrence Wong s’inscrit dans le prolongement de la politique mise en place par ses prédécesseurs. Ainsi, les Singapouriens devraient aspirer à « l’éthos fondateur » de Singapour, selon lequel « chaque Singapourien mérite une place dans notre société, quels que soient ses origines, son statut ou son identité raciale ou culturelle » affirme le futur premier ministre« Nous avons à Singapour toute une série de lois visant à enraciner et à défendre le multiracialisme. […] Nous nous posons toujours les questions suivantes : ces changements contribueront-ils à élargir ou à réduire notre espace commun ? Ces changements vont-ils nous rapprocher ou bien nous séparer les uns des autres ? »

Lors d’une conférence sur le nouveau tribalisme et la politique identitaire, le 23 novembre 2021, M. Wong déclarait : « Nous pouvons être chinois, malais, indiens ou eurasiens […] mais nous sommes avant tout des Singapouriens. […] Le tribalisme est intrinsèquement exclusif, et il est basé sur la haine mutuelle : ‘nous’ contre ‘eux’, ‘ami’ contre ‘ennemi’. Une fois que ce type d’identité tribale prend racine, il devient difficile de parvenir à un compromis. Quand on ancre notre politique sur l’identité, tout compromis ressemble à un déshonneur ». Pour M. Wong, l’harmonie singapourienne est toujours sur le fil du rasoir et nécessite donc une attention constante et une gestion prudente. « Nous n’arrivons pas toujours à une solution parfaite, mais nous ne laisserons jamais aucun groupe se sentir ignoré ou exclu », a assuré Lawrence Wong, qui devrait arriver à la tête de l’État lors des prochaines élections législatives.

Retour post-Covid…

Après une longue pause, je me suis dit qu’il était temps de reprendre la plume sur ce sujet important de l’inter-religieux, d’autant plus que j’y suis encore plus engagé que jamais… La période Covid n’est qu’une mauvaise excuse de mon absence sur ce blog, je me suis simplement laissé prendre par le tourbillon de ma vie singapourienne.

L’information principale me concernant est le fait que je sois devenu le président de CIFU, une ONG travaillant pour l’interreligieux à Singapour. Comme le dit la page d’information de notre site internet (https://cifu.sg), « CIFU vise à promouvoir une communauté engagée ayant une compréhension approfondie des idées et des pratiques inter-confessionnelles, par le biais de la production de connaissances, de la recherche, du conseil et des activités d’engagement communautaire. » Le Centre for Interfaith Understanding (CIFU) est une initiative inter-confessionnelle fondée en 2019 par 10 activistes engagés dans l’inter-religieux, dans le but de promouvoir un espace inclusif et des engagements critiques qui jettent un pont entre la théorie et la pratique sur les questions inter-religieuses dans une société plurielle.

Les 10 membres fondateurs de CIFU.

Je reviendrai plus en détails dans de prochains articles sur le travail que nous faisons, mais en gros, il s’agit de promouvoir à la fois une approche intellectuelle et sur le terrain, des relations entre les religions. Nous avons donc commencé à publier des livres (je travaille notamment sur un livre de témoignages de couples interreligieux), nous formons des animateurs de débats sur des questions sensibles liées à la religion, nous prenons position sur des questions de société telles que les discriminations envers les personnes LGBT ou l’intolérance religieuse, nous donnons une voix aux groupes minoritaires du paysage interreligieux singapourien (Les mormons, les bouddhistes de Shinnyo-En, les musulmans ahmadistes, etc…), nous essayons d’avoir une présence remarquée dans les médias sociaux pour rappeler et expliquer les origines de certaines fêtes, etc…

Dans le domaine de l’interreligieux, j’ai aussi créé un groupe privé sur Facebook ayant pour thème l’humour et l’interreligieux. Ce groupe s’appelle « Interfaith with a sense of humor« , c’est en anglais et il faut accepter les règles plutôt strictes pour pouvoir en faire partie, car le sujet est quelque peu sensible… Il me semble tellement important de pouvoir rire des choses sérieuses pour éviter de se prendre justement trop au sérieux.

Voilà, ce sera tout pour aujourd’hui, il s’agissait juste de reprendre un peu contact avec mon blog. J’espère pouvoir prendre le temps d’écrire un article de temps en temps, car il se passe énormément de choses intéressantes dans mon Singapour au pluriel!

À très bientôt donc 🙋🏻‍♂️

Révision de la loi sur le maintien de l’harmonie religieuse

Mise en place en 1990, la loi sur le maintien de l’harmonie religieuse (MRHA : Maintenance of religious harmony act) à Singapour vient d’être révisée, ce lundi 7 octobre, pour répondre aux défis des nouvelles technologies et contrôler l’influence étrangère au sein des organisations religieuses locales. Dans un communiqué, le diocèse catholique de Singapour a souligné qu’il apportait pleinement son soutien au projet de loi : « Les modifications proposées arrivent à point. Il est donc important que le MRHA soit mis à jour afin de pouvoir réagir efficacement à toute nouvelle menace susceptible de nuire à l’harmonie religieuse. Bien que Singapour ait connu la paix et la stabilité au fil des années, l’harmonie religieuse ne doit pas être considérée comme acquise. »

Le 26 août dernier, lors du dîner de gala pour le 70e anniversaire de l’IRO (Inter-Religious Organisation, l’une des plus vieilles organisations interreligieuses du monde), le premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, avait expliqué la nécessité d’une mise à jour de la loi sur le maintien de l’harmonie religieuse, existante depuis presque trente ans. En prenant des exemples régionaux tels que la montée de l’extrémisme et de l’intolérance au Sri Lanka et aux Philippines, M. Lee avait déclaré que Singapour était, en comparaison, dans une situation « très précieuse, très rare et remarquable ». Il a rappelé aux Singapouriens qu’il fallait « respecter les personnes qui ont une foi différente de la nôtre. C’est le seul moyen de maintenir une culture de tolérance et du vivre ensemble dans un environnement urbain dense… Qu’il s’agisse de brûler des bâtons d’encens au cours du septième mois du calendrier lunaire [tradition taoïste issue de la religion populaire chinoise], de faire sonner l’Adhan [appel à la prière] dans nos mosquées ou bien le son des cloches dans les églises et les temples hindous, nous devons faire des ajustements, nous adapter et faire preuve de tolérance les uns envers les autres ». Lee Hsien Loong vient d’ailleurs de remporter un prix interreligieux international pour son rôle dans le soutien de la tolérance et de l’harmonie à Singapour. La loi sur le maintien de l’harmonie religieuse (MRHA : Maintenance of religious harmony act) avait été présentée au parlement par Lee Kuan Yew, premier ministre de Singapour à l’époque et père du premier ministre actuel, dans les années 1980. Officiellement, il s’agissait de protéger Singapour de la résurgence mondiale du fanatisme religieux, et d’éviter les tensions entre les différentes religions, mais le gouvernement souhaitait surtout empêcher les organisations religieuses de faire trop de politique, afin d’éviter toute possibilité de contestation. En 1987, des laïcs et prêtres catholiques (dont le père Guillaume Arotçarena, des Missions Étrangères de Paris) s’étaient engagés dans l’activisme social et avaient été accusés de fomenter un complot marxiste dans le but de renverser le gouvernement.

Dix religions reconnues officiellement à Singapour

Le MRHA habilite le ministre de l’Intérieur à restreindre les activités des responsables religieux ou de toute autre personne menaçant l’harmonie religieuse. Le but est donc de contrôler ceux qui, sous couvert de la propagation ou de la pratique d’une croyance religieuse, essaieraient de remonter les foules contre le gouvernement, et accessoirement contre les autres religions. En fait, cette loi n’a jamais été utilisée depuis son entrée en vigueur en 1992. « Il existe des restrictions claires concernant ce que les groupes religieux peuvent faire ou ne peuvent pas faire, telles que ne pas s’impliquer dans la politique ou nuire à la paix religieuse », a déclaré le Dr Mathew Mathews, chercheur à l’Institut d’études politiques (IPS). « Bien que la loi n’ait pas vraiment été utilisée, cela ne veut pas dire que personne ne pouvait tomber sous le coup de cette loi. La menace même que la loi pourrait être appliquée a poussé ceux qui se conduisaient d’une manière qui pourrait porter atteinte à la paix religieuse à chercher rapidement le moyen de réparer leur faute. » Cette épée de Damoclès encourage en effet les contrevenants à présenter publiquement leurs excuses, comme ce fut le cas par exemple en avril 2017, lorsqu’un iman venant d’Inde en avait appelé à « l’aide de Dieu pour combattre les juifs et les chrétiens », ou encore en avril 2018, lorsqu’un prédicateur chrétien des États-Unis disait vouloir « repousser un nouveau mouvement musulman moderne ». Les propos guerriers de ce genre ne sont pas pris à la légère dans la cité-État où dix religions sont reconnues officiellement.

Le ministre de l’Intérieur actuel, K. Shanmugam, avait aussi affirmé qu’il fallait actualiser la loi pour faire face aux nouvelles menaces découlant de l’omniprésence d’Internet. « Le monde est devenu très différent. Nous avons maintenant Facebook, Twitter, Google… La haine peut devenir virale en quelques secondes », avait-il expliqué. En tant que ministre de l’Intérieur, il pourra maintenant émettre une ordonnance de restriction immédiate contre les personnes qui attiseraient les tensions religieuses en ligne (il fallait attendre quatorze jours auparavant), et le gouvernement pourra aussi ordonner le retrait immédiat de publications dans les médias sociaux. Un autre amendement à cette loi impose que les postes clés de direction dans les organisations religieuses soient occupés par des citoyens singapouriens ou des résidents permanents, afin d’empêcher toute influence étrangère indue. Les organisations religieuses sont également tenues de déclarer les dons d’une valeur supérieure ou égale à 10 000 dollars singapouriens s’ils sont effectués par des étrangers, ainsi que de révéler toute affiliation avec des groupes religieux établis à l’étranger qui pourraient éventuellement exercer une influence sur elles.

« L’harmonie religieuse ne doit pas être considérée comme acquise »

Les divers groupes religieux de Singapour ont déclaré qu’ils soutenaient ces propositions de changement ; ils avaient d’ailleurs été consultés sur le sujet. Dans un communiqué de presse, le diocèse catholique de Singapour a souligné qu’il apportait pleinement son soutien au « projet de loi sur le maintien de l’harmonie religieuse [MRHA]. Les modifications proposées arrivent à point. Avec l’omniprésence d’Internet et des réseaux sociaux, les messages haineux qui peuvent briser l’harmonie religieuse peuvent se répandre plus rapidement et plus largement qu’auparavant. Il est donc important que le MRHA soit mis à jour afin de pouvoir réagir efficacement à toute nouvelle menace susceptible de nuire à l’harmonie religieuse. Bien que Singapour ait connu la paix et la stabilité au fil des années, l’harmonie religieuse ne doit pas être considérée comme acquise. En tant que société multiconfessionnelle, Singapour est vulnérable aux acteurs étrangers mal intentionnés qui peuvent se servir de la religion pour diviser la société. Les acteurs étrangers peuvent, en particulier, exercer une influence et un contrôle sur les organisations religieuses par le biais de dons ou de fortes affiliations étrangères ».

Les modifications votées permettent à Singapour de se rapprocher des normes internationales en matière de réglementation du discours de haine, admet le professeur Cherian George, un intellectuel généralement très critique envers le gouvernement singapourien. Le gouvernement modifie la manière dont il traite l’injure envers les sentiments religieux, affirme-t-il. Il est important de faire la distinction entre les dommages objectifs et les infractions subjectives causées par un discours antireligieux. « Les gouvernements ont le devoir de protéger les communautés religieuses en interdisant l’incitation à la discrimination et à la violence. Le droit international des droits de l’homme leur permet également d’appliquer des restrictions nécessaires et proportionnées aux discours qui menaceraient l’ordre public.

Cependant, ils ne doivent pas restreindre les propos choquants si leur seul impact réel est de blesser les sentiments des gens », a-t-il ajouté. Dans le cadre de la loi modifiée, si l’État veut punir un citoyen ordinaire pour injure religieuse, il ne suffira pas de montrer qu’il a délibérément blessé les sentiments religieux d’une autre personne (ce qui était le cas auparavant dans le cadre de l’article 298 du Code pénal). Désormais, il faudra montrer que la blessure causée menace l’ordre public. « Cela détourne l’attention des émotions subjectives de personnes qui peuvent être trop facilement offensées, au profit du critère plus objectif de l’ordre public », estime le professeur George. Dans le cadre de ces changements, le gouvernement a également proposé l’introduction d’une « Initiative de réhabilitation communautaire » (IRC, Community remedial initiative), qui permet au ministère de l’Intérieur de résoudre les infractions sans que des poursuites soient nécessaires. Il s’agirait par exemple de faire des excuses publiques ou privées, présentées à la communauté affectée, ou encore de participer à des événements interreligieux pour mieux comprendre cette communauté. Le ministère de l’Intérieur a souligné que cette IRC serait volontaire et qu’elle serait prise en compte pour déterminer s’il convient ou non de poursuivre la personne ayant commis l’acte incriminé.

« Ils ont vraiment contribué à la croissance de Singapour en tant que société »

Lors du Grand Prix de Formule 1, qui se déroulait à Singapour il y a quelques jours, Sheena Phua, une « influenceuse », se plaignait des deux spectateurs assis devant elle en publiant une photo sur Instagram : « Deux énormes obstacles ont décidé de sortir de nulle part » avait-elle commenté. Or, il s’agissait de deux sikhs, facilement reconnaissables à leur turban. Les réseaux sociaux se sont enflammés, l’accusant d’être raciste et insensible aux différences culturelles et religieuses. Par la suite, elle a dû s’excuser en soulignant que son message avait été mal interprété – mais loin de se sentir offusqués, des jeunes de la communauté sikhe de Singapour ont invité Mlle Phua dans un temple sikh pour qu’elle y découvre la communauté et ses traditions. « Je n’ai jamais vraiment cherché à comprendre les pratiques religieuses des autres. Pour beaucoup de jeunes, les questions dont nous discutons tournent autour de banalités telles que la mode, les commérages et les voyages », a-t-elle confié, ajoutant qu’elle espérait avoir d’autres opportunités pour interagir avec des groupes minoritaires. « Ils ont vraiment contribué à la croissance de Singapour en tant que société », a-t-elle poursuivi. Il est possible que la révision de la loi sur le maintien de l’harmonie religieuse qui vient d’être votée à Singapour ne soit en fait jamais utilisée, mais continue à encourager chacun à y mettre un peu du sien…

Un jour à Singapour…

Mon ami Imran est à la fois philosophe, intellectuel, sage et musulman. Je suis souvent émerveillé par sa capacité à expliquer des choses complexes avec beaucoup de simplicité. Il y a quelques jours, sur sa page Facebook, on pouvait lire ce message qui résume bien l’importance du travaille inter-religieux que nous faisons.

interreligieux

Traduit de l’anglais:

Un jour à Singapour …

« N’affiche pas ta croix sur les bâtiments. Ça me dérange. » dit un musulman à un chrétien.

« Ne mets pas tes offrandes en bas du bloc. Je ne peux plus le tolérer. » dit un chrétien à un taoïste.

« N’abattez pas vos vaches pour l’Aïd el-Kebir. Ça me choque. » dit un hindou à un musulman.

« N’amenez pas la religion dans l’espace public » dit le gouvernement à tout le monde.
« Pourquoi pas ? » répondent les gens religieux…

Quelqu’un, quelque part, sera quelque peu offensé par quelque chose. Alors que faire ?

Premièrement, observez ce principe : vous avez le droit de croire ce que vous voulez mais vous n’avez pas le droit d’imposer votre croyance aux autres. Acceptez le droit des autres comme vous voulez que les autres acceptent votre droit d’avoir vos propres convictions. Apprenez l’art de la réciprocité.

Deuxièmement, apprenez à gérer vos propres émotions face à l’offense. Si la croyance d’une autre personne vous offense, souvenez-vous, pour vous calmer, que personne ne vous demande de l’accepter, mais que vous ne devez pas non plus nier le droit de l’autre à sa croyance. Apprenez à accepter les différences.

Troisièmement, apprenez-en davantage sur la croyance de l’autre ; qui sait, vous pourriez apprendre une chose ou deux et comprendre pourquoi il croit ce qu’il croit ? Vous ne serez peut-être pas toujours d’accord avec ses convictions, mais vous apprendrez certainement quelque chose et cela vous permettra d’être moins facilement offensé.

Surtout, apprenez à questionner votre propre conviction : Savez-vous vraiment ce que vous pensez savoir ? Comment savez-vous ce que vous savez ? Avant de critiquer les autres, soyez critique envers vous-même. Vous pourriez en fait découvrir des choses intéressantes. Tournez le regard vers l’intérieur et cultivez l’humilité à l’intérieur. Soyez offensé par votre propre ignorance plus que par toute autre chose. Laissez les autres être eux-mêmes. Apprenons à travailler sur nous-mêmes.

Colloque entre chrétiens et taoïstes

Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, l’archidiocèse catholique de Singapour et la fédération taoïste de Singapour ont organisé conjointement le deuxième colloque chrétien-taoïste à Singapour du 5 au 7 novembre 2018 (le premier avait eu lieu à Taiwan en 2014). Le thème du colloque était « Éthique chrétienne et taoïste en dialogue ». Soixante-dix spécialistes chrétiens et taoïstes, ainsi que de nombreux acteurs du dialogue interreligieux, venus principalement de Singapour, mais également de Chine, de France, de Corée du Sud, de Malaisie, de Suisse, de Taiwan et du Vatican, ont pris part à cet événement.

La rencontre avait pour but d’approfondir le dialogue entre chrétiens et taoïstes, dans des échanges à la fois intellectuels et informels, en réponse aux défis contemporains dans les domaines de la bioéthique, la pauvreté, la morale en économie et les problèmes environnementaux… Le programme comprenait également des visites culturelles et interreligieuses. Singapour étant le pays ayant la plus grande diversité religieuse au monde, les initiatives interreligieuses s’y multiplient et sont de plus en plus encouragées par le gouvernement qui, par l’intermédiaire du ministère de la culture et de la jeunesse, soutenait ce colloque. Le premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, rappelait d’ailleurs au même moment qu’en « créant des possibilités d’interaction entre les religions et en renforçant les liens entre les religions, nous nous protégeons contre les forces qui pourraient déchirer notre société ».

Mgr Miguel Ángel Ayuso Guixot, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a repris dans son message d’introduction au colloque les mots du pape François, prononcés lors du congrès organisé par la fondation Centesimus Annus – Pro Pontifice le 26 mai 2018 : « Les difficultés et les crises actuelles du système économique ont une dimension éthique indéniable : elles sont liées à une mentalité d’égoïsme et d’exclusion qui a engendré dans les faits une culture du rebut, aveugle face à la dignité humaine des plus vulnérables. Nous le voyons dans la ‘mondialisation de l’indifférence’ croissante face aux défis moraux évidents que la famille humaine est appelée à affronter. […] Je pense aussi aux questions éthiques urgentes liées aux mouvements migratoires mondiaux. » Il souligne en outre que « la dimension éthique des relations sociales et économiques dans la vie et dans l’activité sociale ne peut être importée de l’extérieur, mais qu’elle doit émerger de l’intérieur. Cela représente naturellement un objectif à long terme, qui exige l’engagement de chaque personne et de chaque institution au sein de la société ».

Taoisme

« Une réponse multiforme aux défis de notre époque »

Dans la première partie du colloque, les intervenants ont analysé la crise morale qui affecte le monde aujourd’hui. Les spécialistes ont ensuite présenté les enseignements de Jésus, de saint Paul, de Lao-Tseu et d’autres sages taoïstes. Après avoir examiné les écrits sacrés des deux traditions, chacun a essayé de proposer des orientations et des solutions pour améliorer le monde en crise. Invitée par la fédération taoïste de Singapour, Karine Martin, femme prêtre taoïste française, a conclu son intervention en soulignant que « si des religions telles que le taoïsme et le christianisme doivent participer à la résolution des problèmes auxquels la société est actuellement confrontée, elles doivent présenter leur technique ancestrale consistant à apaiser l’esprit et à réconforter le cœur de chaque individu. »

Interrogée par Églises d’Asie sur la place du taoïsme aujourd’hui dans la société, Karine Martin a fait remarquer qu’il tient « une place très importante sur le plan spirituel et sur le plan du bien-être, parce que toutes les pratiques de Tai-chi et les enseignements de la médecine chinoise prennent racine dans les enseignements taoïstes. En revanche, les enseignements taoïstes religieux sont beaucoup moins connus. Le taoïsme est un chemin qui fournit des outils pour partir à la recherche de la vérité. » Interrogé par Églises d’Asie, le père Benoît Vermander, un jésuite présent depuis plus de vingt ans en Chine, notait pendant le colloque que ce qui lui semblait enrichissant en premier lieu, c’était la participation importante des taoïstes à l’événement, en particulier les jeunes taoïstes de Chine continentale. « Le fait qu’on ait parlé de thèmes très concrets tels que la famille et l’éducation a joué un rôle important. C’est sans doute la première fois qu’il y a une participation aussi active de leaders taoïstes. » Le père Vermander a également tenu à souligner la qualité de l’organisation de ce colloque par de nombreux bénévoles singapouriens.

PGP02582

Dans une déclaration publiée à l’issue du colloque, les participants ont d’abord noté que cette réunion avait renforcé des liens d’amitié. Les deux groupes reconnaissent que « la crise éthique d’aujourd’hui nécessite la redécouverte de valeurs universelles fondées sur la justice sociale, l’écologie intégrale, ainsi que la dignité de la vie humaine à tous les niveaux et dans toutes les circonstances. Par conséquent, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 reste une expression fondamentale de la conscience humaine pour notre époque et offre une base solide pour la promotion d’un monde plus juste. Nous croyons en la capacité de nos traditions religieuses d’inspirer une réponse multiforme aux défis de notre époque. Par conséquent, il est nécessaire d’améliorer les méthodes de communication de nos traditions dans un langage facilement compréhensible. »

(EDA / François Bretault)