Voici la suite des témoignages de mes amies singapouriennes concernant le port du voile. Elles s’expriment ici en leur nom propre et ne prétendent pas représenter toutes les musulmanes qui, on l’aura compris, sont toutes différentes…
Le voile m’a libéré
Je m’appelle Fistri, je suis musulmane. Cela fait 16 ans que je porte le ‘hijab’. Contrairement à ce qu’on peut penser, un hijab n’est pas seulement un foulard ou une coiffure. Il couvre beaucoup plus que cela, c’est un code vestimentaire. Si vous êtes une femme, il couvre les formes de votre corps et permet que votre visage et vos mains soient visibles; pour les hommes, cela signifie se couvrir du nombril aux genoux. C’est aussi un code qui inclut la façon dont vous parlez, pensez et vous comportez. Comme l’islam lui-même, ce code est assez englobant. Comme l’Islam aussi, c’est un code qui vous guide et vous motive à être une meilleure personne et à accorder vos actions, vos souhaits et vos désirs à votre foi. Le but est ainsi de canaliser ses passions pour devenir une meilleure musulmane, pour plaire à Allah en adhérant à ses paroles.
J’ai longtemps réfléchi avant de porter le voile. Je pensais que je n’étais pas une assez bonne musulmane pour ça, je n’étais pas prête, mes rêves et mes aspirations ne correspondaient pas, j’aimais trop la vie. Après tout, je faisais la fête jusqu’au matin quand j’étais à l’université (même si je ne buvais pas). J’aimais beaucoup les vêtements sexy, je n’avais que quelques foulards et des robes longues que je gardais pour les funérailles ou les rassemblements religieux. Je voulais travailler dans la publicité, alors j’ai étudié le marketing. Je savais que l’industrie de mon choix ne m’accueillerait pas à bras ouverts si je faisais le choix du voile.
Mais tout cela a changé le jour où mon père a décidé que la famille ferait l’Oumra[1] (le pèlerinage mineur) et quand le World Trade Center a été attaqué. Techniquement, je n’étais pas obligée d’être en hijab avant de faire l’Oumra, mais quelque chose en moi s’est déclenché. Peut-être que ce sont les commentaires et les articles que j’ai lus sur les attentats, décrivant ma religion comme dure, inhumaine et déconnectée, qui m’ont poussée.
Je sais que ma religion n’est pas tout cela, c’est tout le contraire. Ma religion encourage les fidèles à se saluer en se disant « la paix soit avec vous », obligeant ainsi les gens à pardonner les mauvaises actions et les rancœurs entre eux et à prier pour le bien-être de chacun. Cette religion ne peut être une religion de haine et de meurtriers. Alors j’ai décidé d’être courageuse et j’ai fait le premier pas pour reconnaître ma foi et tout ce qui vient avec, le voile étant le plus difficile pour une femme moderne comme moi.
Est-ce que cela a changé ma vie de façon drastique ? J’ai eu des difficultés à obtenir un emploi, bien que ce que je portais n’ait pas été pointé du doigt explicitement. Je suis consciente que pour la plupart des gens, le voile est un symbole d’oppression, du passé et de la culture patriarcale arabe. Encore une fois, c’est plutôt le contraire. Je me suis sentie davantage considérée en tant que personne après le port du voile. Les hommes et les gens, en général, sont capables de me parler et d’écouter mes idées au lieu d’être distrait par mon physique. Je me souviens d’une ex-collègue qui déplorait la façon dont notre patron parlait toujours à sa poitrine plutôt que d’écouter ses idées… Cela ne m’est jamais arrivé à l’évidence.
Je suis aussi plus consciente de la façon dont je me comporte, parle, pense et articule mes pensées car mon voile me rappelle qu’il faut adhérer aux voies du Prophète : dire la vérité, ne pas parler si ce que je veux dire va nuire aux autres, discuter, être patiente, ne pas juger et sourire plus. Le sourire n’est pas une hypocrisie pour obtenir quelconques faveurs, c’est quelque chose de merveilleux qui me permet d’avoir tellement d’amis. Mes amis et confidents sont athées, agnostiques, bouddhistes, chrétiens et hindous. Nous mangeons ensemble, regardons des films, voyageons dans le monde et nous passons généralement de bons moments ensemble sans que cela n’entrave mes 5 obligations de prières quotidiennes (qui peuvent être faites n’importe où) et mon régime alimentaire (halal si possible, sinon, fruits de mer).
Est-ce que cela m’a empêché d’être une femme moderne et active? Je ne fais plus la fête comme avant, je lis plus, je fais du bénévolat dans les musées, je danse la zumba, je fais plus de sport et je voyage seule plus facilement. Le voile ne m’a pas emprisonné, il m’a libéré.
Fistri
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Oumra
La boule de glace sur ma tête
Je m’appelle Liyana, je suis une musulmane malaise de 31 ans, née dans la ville cosmopolite de Singapour.
Je suis née dans une famille musulmane conservatrice. Permettez-moi de définir ce que veut dire ‘conservatrice’ pour moi parce que, je pense que le terme lui-même peut porter à confusion. Je définis ma famille comme conservatrice parce que j’ai toujours vu mes parents s’efforcer d’être de bons musulmans en suivant de près les enseignements de l’islam; faire leurs prières quotidiennes, assister à des conférences religieuses et nous élever, ma sœur et moi, selon les valeurs islamiques. Nous avons toutes les deux été envoyées dans des classes religieuses très jeunes, afin de pouvoir apprendre l’arabe et avoir une meilleure compréhension de notre religion à mesure que nous grandissions.
Par ailleurs, mes parents affichaient des valeurs positives et progressistes : être de bons Singapouriens et des citoyens inclusifs. Dans ma jeunesse, nous habitions un appartement et nous avions de merveilleux voisins chinois, malais et indiens. J’ai grandi en jouant avec leurs enfants; nous nous invitions à jouer chez les uns et les autres. Quand il y avait une fête, nous partagions la nourriture avec nos voisins et je me souviens que quand je rentrais de l’école et que mes parents n’étaient pas à la maison, mes voisins chinois m’invitaient chez eux en attendant leur retour. Beaucoup de Singapouriens ont ce genre de relation, et je suis très fière d’en faire partie.
Quand j’ai eu 4 ans, mes parents ont commencé à m’encourager lentement à l’idée de porter le voile, également connu sous le nom de ‘hijab’. Ils croyaient que porter le voile était un devoir religieux pour chaque femme musulmane et je devais donc commencer à le porter très jeune afin de m’y habituer. Pour eux, c’était ce que commandait le Coran, et la plupart des juristes musulmans affirment que c’est une obligation. À cet âge, j’ai mal compris le concept du hijab. Je l’ai pris comme une tenue religieuse portée par les femmes musulmanes dans ma communauté et je l’utilisais parce que presque toutes les musulmanes le portaient.
Mon père est plutôt strict. Il m’encourage constamment à porter le hijab. Ma mère, par contre, a commencé à le porter beaucoup plus tard dans sa vie, et est donc plus cool avec la pratique. Durant mon enfance, je ne portais pas toujours le voile. Je le mettais et l’enlevais quand j’en avais envie. J’ai commencé à le porter constamment dès que j’ai atteint la puberté. J’ai continué mon lycée et mon enseignement pré-universitaire dans un ‘Madrasah’, une école islamique privée, qui enseigne des matières religieuses et laïques. À l’école, je percevais le voile comme un uniforme scolaire, un symbole de modestie et un devoir religieux à respecter.
Pendant toute cette période, je n’ai jamais vu le port du hijab comme une phase de la vie, j’ai simplement grandi avec, contrairement à certaines de mes amies pour qui l’idée de mettre le voile est presque un saut dans l’inconnu, une transformation de leur vie. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à réfléchir à la signification du hijab, surtout après avoir reçu beaucoup de questions de la part d’amis d’autres religions qui en sont curieux. Par ailleurs, certaines de mes amies musulmanes ont du mal à porter le voile pour de nombreuses raisons. Certaines ne peuvent pas se faire à l’idée du port du voile comme étant obligatoire. D’autres estiment qu’elles le portent simplement pour plaire à leurs parents et elles refusent de vivre cette hypocrisie. Certaines l’ont abandonné, car elles pensent que la pudeur c’est beaucoup plus que le simple fait de se couvrir… Nous sommes toujours amies, c’est la vie qui suit son cours. A Cause de tout cela, j’ai commencé à creuser la question du hijab…
(Liyana fait alors une analyse de plusieurs passages du Coran. Pour ne pas faire trop long, je vous renvoie à mon article: le port du voile en 12 questions)
Sur la base de plusieurs versets du Coran et de l’interprétation des Hadith (les paroles du Prophète), la majorité des érudits traditionnels concluent que l’idée du hijab est d’observer une étiquette sociale. Ils soulignent également le fait que les femmes musulmanes doivent se couvrir, à l’exception du visage et des mains, lorsqu’elles font leurs prières.
L’accumulation et la compréhension de ces informations me permettent de conclure que cette sagesse primordiale à propos du voile ne consiste pas à se fixer sur la longueur du tissu ou à se cacher, il s’agit d’une responsabilité sociale et de la préservation de l’étiquette sociale dans l’interaction entre les hommes et les femmes. Et le port du voile au jour le jour est une question de liberté de choix. On ne devrait pas être obligé de le porter ou de l’enlever. Mais encore une fois, chaque pays et chaque communauté a un contexte et une culture différente sur la façon dont ils voient et imposent le voile comme règle sociale. Bien qu’il soit obligatoire pour chaque femme de se couvrir en Arabie Saoudite, ce n’est pas le cas dans d’autres pays où les musulmans sont majoritaires comme l’Indonésie ou la Malaisie. Porter le voile est un choix individuel. Il est aussi important de savoir que les différentes longueurs, couleurs et styles de voile (tels que ‘niqab’ qui couvre le visage et le ‘tchador’ qui couvrent entièrement tout) sont purement dus à la culture et au contexte différents et n’ont rien à voir avec une quelconque règle religieuse.
Dans le contexte actuel où les êtres humains font face à de nombreuses réalisations novatrices et sont en contact avec de nombreuses cultures à travers le monde, j’espère que nous sommes plus ouverts à la diversité. Le fait de porter des choses différemment ne signifie pas nécessairement que ce soit une aliénation. Nous devrions toujours essayer de comprendre le pourquoi derrière les choses.
C’est là que je suis reconnaissante de vivre à Singapour, un pays laïque et démocratique et qui, en même temps, offre à quelqu’un comme moi l’espace, la liberté et l’opportunité de coexister paisiblement et de servir ce pays. Porter le voile ne me rend jamais moins singapourienne que les autres. Tout comme les autres Singapouriens, j’aime nager dans une piscine publique, faire du sport, aller dans un café et voyager. En fait, le port du voile est souvent l’occasion du discuter avec les autres de nos différences en prenant un thé par exemple.
Je crois que les enfants nous enseignent souvent une grande sagesse dans l’appréciation des différences. Quand j’étais institutrice en maternelle pour une école internationale, je saluais mes élèves à leur arrivée tous les matins et ils me disaient bonjour avec enthousiasme en m’appelant Mme Liyana, la maîtresse qui a une boule de glace sur la tête. Ils avaient bien remarqué que le vêtement que je porte est différent et drôle. La différence ne leur posait pas plus de problème que ça, et c’est quelque chose que les adultes se devraient bien d’imiter.
Peut-être que nous devrions nous demander pourquoi nous sommes mal à l’aise face à un look différent? Est-ce parce que nous ne sommes pas habitués? Est-ce à cause d’un manque de contact avec la différence? Avons-nous un regard assez critique sur ce que nous lisons ou regardons dans les médias? Que faisons-nous pour nous assurer de l’exactitude des informations reçues? Avons-nous assez d’interaction avec les différents types de musulmanes pour comprendre pourquoi elles portent le voile? Avons-nous tenté d’avoir un dialogue avec nos collègues musulmans ou nos voisins pour répondre à notre inquiétude sur le sujet? Voilà pourquoi je crois que le dialogue avec les gens est extrêmement important. Le dialogue n’a pas pour but le consensus, mais le développement d’un respect mutuel afin de coexister malgré nos différences.
Liyana