1000 lieux de culte sur un confetti

Singapour est 10 fois plus petit que mon Maine-et-Loire natal. Autant dire qu’on en a vite fait le tour. Pourtant, plus de 1000 lieux de culte sont recensés dans ce pays asiatique qu’on surnomme souvent ‘le petit point rouge’ (The Little Red Dot), en référence à sa place sur une carte du monde! Un très joli livre sur le sujet vient de sortir à Singapour : « La foi dans l’architecture, 50 lieux de culte à Singapour ».

Mon amie Gul, qui est à l’origine de cette publication, est enseignante à l’Université de Technologie de Nanyang (NTU). Depuis 3 ans, elle anime un cours sur ‘la foi dans l’art’. Gul est d’origine turque et je l’ai rencontrée dans le cadre de l’association EiF (Exploration into Faith) peu après son arrivée à Singapour en 2011. Elle s’intéresse depuis très longtemps à l’interreligieux, et c’est dans ce cadre qu’avec l’aide de ses étudiants, elle a publié cet ouvrage.

Couverture du livre

Couverture du livre

Les 50 lieux de culte choisis reflètent la diversité religieuse singapourienne. J’y ai personnellement découvert beaucoup d’endroits méconnus. Outre les 10 religions officiellement reconnues, le shintoïsme est présent grâce aux ruines du temple ‘Syonan-Jinja’, dans le MacRitchie Reservoir, pas loin de chez moi ! Ce temple construit par les japonais pendant la seconde guerre mondiale a été détruit en 1945, il n’en reste que quelques traces, mais un bassin en granite pour les ablutions est encore intact.

Restes du temple 'Syonan-Jinja'

Restes du temple ‘Syonan-Jinja’

Le livre de Gul est illustré de nombreuses photos, mais aussi de très jolis dessins d’un artiste local, Dr Ho Chee Lick. Le hasard faisant bien les choses, cet artiste présenta un jour ses dessins à l’éditeur du livre qui reconnu immédiatement de nombreux lieux de culte mentionnés par Gul et ses étudiants dans ce qui n’était à l’époque qu’un projet de livre. Les dessins sont un excellent complément au livre et font parler les pierres autant que les textes.

Exposition des dessins de Ho Chee Lick, lors de la sortie du livre.

Exposition des dessins de Ho Chee Lick, lors de la sortie du livre.

J’aime beaucoup aussi le côté interculturel de l’ouvrage. Le temple taoïste ‘Poh Tiong Beo’ par exemple est présenté par Liyana, une étudiante musulmane. Ce temple, situé dans le quartier de Toa Payoh, est gardé par deux statues de chevaux pesant chacune plus d’une tonne. Parmi de nombreuses divinités, on vénère spécialement ici des conseillers et des généraux de l’armée de la dynastie des Song. Comme pour beaucoup d’autres temples, les origines du culte remontent aux premiers migrants venant de Chine et ayant apporté dans leurs baluchons les croyances et les rites de leurs ancêtres.

Le temple de 'Poh Tiong Beo'

Le temple de ‘Poh Tiong Beo’

Deux synagogues sont aussi présentées dans le livre. Celle de Waterloo Street est particulièrement intéressante car elle côtoie dans la même rue un temple hindou et un temple taoïste. C’est la plus vieille synagogue en Asie du Sud-Est. Elle fut classée monument historique en 1998 et on trouve dans le bâtiment annexe le seul restaurant casher de Singapour semble-t-il.

La synagogue de Maghain Aboth

La synagogue de Maghain Aboth

Publié dans le cadre du SG50 (les 50 ans de Singapour), cet ouvrage est une véritable mine aux trésors, superbe et facile à lire. Quand j’en ai parlé à un responsable du IRO (Inter Religious Organisation), il m’a répondu : « On aurait dû y penser nous-mêmes, c’est une excellente idée ! »

 

Des voisins dérangeants

Lors d’une session de formation pour catéchumènes [1], Michel, un missionnaire français essaie de titiller les aspirants catholiques pour savoir s’ils sont superstitieux. « Imaginez que vous gagnez un billet d’avion pour Hong Kong ! Le vol doit avoir lieu le vendredi 13, qui prend l’avion ? » demande-t-il. Une bonne majorité de mains se lèvent. « Imaginez maintenant que vous voulez acheter une nouvelle maison. On vous en fait visiter une qui n’est vraiment pas trop chère, elle est très bien, grande, confortable, elle vous plaît beaucoup. Vous ouvrez la fenêtre de la chambre à coucher pour vous rendre compte qu’en face il y a un cimetière. Qui achète la maison ? » Pratiquement personne ne lève la main…

J’ai été témoin de cette scène il y a 24 ans, à l’époque tout était nouveau pour moi ici. Mais j’ai depuis compris que Michel avait touché à un point sensible ce soir-là. Quelque soit la spiritualité, la religion, les croyances ou même les non-croyances, rares sont ceux qui, à Singapour, n’ont pas une certaine hantise des esprits, âmes errantes ou autres fantômes. Les prêtres catholiques, les moines bouddhistes ou les ustaz [2] musulmans, par exemple, sont régulièrement appelés pour bénir des maisons afin de les préserver d’influences maléfiques. Cela peut sembler étrange aux yeux de l’européen, sans doute un peu trop rationaliste, que je suis, mais c’est une réalité qu’il ne faut pas ignorer quand on s’intéresse aux questions religieuses dans le contexte singapourien.

Une collection de livres à succès.

Une collection de livres à succès: ‘Vraies histoires singapouriennes de fantômes’.

L’événement suivant ne peut se comprendre qu’avec cette clé de lecture.

Un nouveau temple bouddhiste, qui va être construit au nord de Singapour, dans le quartier de Sengkang, fait parler de lui ces jours-ci (Straits Times du 1/1/2015). Ce sera un temple très moderne, en voici la maquette :

Columbarium

Projet de temple chinois à Fernvale Link

« Ce temple chinois sera le premier à Singapour et dans la région (à l’exception du Japon) à avoir un Columbarium [3] automatisé moderne où les niches seront conservées entre quatre murs et amenées au niveau de cabines de visionnage privées pour maintenir la confidentialité et la dignité au cours des visites. » Selon la page Facebook du député du quartier.

Le problème, c’est justement ce columbarium, car le quartier est en plein développement, de jeunes familles vont s’y installer, leur appartement est déjà réservé, et on ne les avaient pas vraiment prévenus de la présence de ce columbarium qui devrait être opérationnel en 2016. A mon avis, leurs voisins ne risquent pas de faire beaucoup de bruit, mais cela ne ferait pas du tout rire ces futurs résidents. Ils ont d’ailleurs mis en ligne la pétition suivante (signée par 913 personnes à ce jour):

Dites non à un columbarium à côté de notre future maison!

Nous ne voulons pas d’un columbarium à côté de notre future maison! Ce quartier est nouveau avec de jeunes familles, nous ne voulons pas que nos enfants soient exposés à ce genre de choses si jeune dans leur vie! S’il vous plaît, déplacez le columbarium dans une autre région sans une forte densité de résidents!

Les termes de la pétition sont très vagues, et on pourrait se demander de quel ‘genre de choses’ il s’agit… Les commentaires postés à la suite de la pétition en disent un peu plus, par exemple celui-ci : « Construire un columbarium au milieu des quartiers résidentiels, ce n’est pas correct. Les gens seront mal à l’aise de savoir qu’ils sont dans une telle proximité de ces installations abritant les morts. »

La proximité d’un columbarium n’a pourtant rien de nouveau. Plusieurs autres temples ou églises ont leur columbarium et sont à proximité de résidences. Celui de l’église de Sainte Marie des Anges, par exemple, est très joli :

Sainte Marie des Anges

Columbarium de l’église de Sainte Marie des Anges

Je vis moi-même sur un ancien cimetière, à Bishan. A la fin des années 80, personne ne voulait vraiment venir loger dans ce quartier, mais le gouvernement a eu l’ingénieuse idée d’y faire construire de bonnes écoles et la station de métro numéro 8 [4], avec un centre commercial au nom de ‘Junction 8’. Le numéro 8 étant un chiffre porte bonheur dans la mentalité chinoise, le quartier de Bishan est peu à peu devenu très populaire, au point que c’est aujourd’hui l’un des quartiers HDB [5] les plus chers de Singapour.

grave Bishan

Le cimetière de Bishan – 1979

Les questions d’argent ne sont pas étrangères aux inquiétudes des futurs résidents de Sengkang. Leur bien immobilier se vendra moins bien, si jamais ils décidaient de le revendre. Qui voudra acheter leur appartement dans ce quartier probablement hanté ? A moins que le gouvernement ne décide de renommer la station de métro la plus proche Sengkang NE16 en Sengkang NE8+8…

 

P.S. Le concept de superstition est très large et a souvent une connotation péjorative, il peut englober toutes les pratiques ou croyances d’ordre religieux considérées comme sans valeur ou irrationnelles par le locuteur (Wiki). Cela peut-être aussi une croyance à l’existence de forces occultes et surnaturelles. Dans cet article, il s’agit plutôt d’une forme d’animisme présent dans les mentalités en général, quelque soit la foi professée.

[1] Une personne qui n’est pas encore baptisée chrétienne, mais qui s’instruit pour le devenir.

[2] Érudits musulmans formés dans l’Islam et la loi islamique.

[3] Un lieu (le plus souvent dans un cimetière) où sont déposées dans des niches les urnes contenant les cendres des morts.

[4] Le numéro de la station n’est plus le 8, mais Bishan NS17/CC15. Le passé funéraire du lieu est plus ou moins oublié.

[5] Logements publics